Ampoule cassée et poil de yack

Si vous regardiez la série Malcolm in the Middle dans les années 2000, vous adoriez surement les petites saynètes qui précédaient le générique. Dans l’une d‘elle, on suit Hal (l’excellent Bryan Cranston pre-Breaking Bad) alors que la lumière de sa cuisine vient de rendre l’âme. Il va chercher une ampoule neuve dans le placard et se rend compte que l’étagère est en train de tomber. Le tournevis est dans un tiroir de la cuisine, mais celui-ci couine lorsqu’il le ferme. Le bidon d’huile est vide. Il décide donc de prendre sa voiture pour se rendre au magasin mais celle-ci ne démarre pas…

Lorsque sa femme Loïs rentre et lui demande si il a enfin remplacé l’ampoule dans la cuisine, il sort de sous sa voiture, couvert de graisse et visiblement énervé et lui rétorque « Et d’après toi, qu’est ce que je suis en train de faire ! »

Je pense que beaucoup se sont déjà trouvé dans une situation similaire. Alors qu’on avait prévu de faire une tache simple, on se sent dans l’obligation d’en faire une myriade d’autres qui paraissent absolument nécessaires. Au bout d’un moment, on se rend compte que le temps a passé et que la tâche à laquelle on souhaitait s’atteler n’est toujours pas commencée.

Il s’agit d’une forme de procrastination particulièrement pernicieuse car elle donne l’impression d’être productif. En réalité, notre cerveau est un flemmard, il cherchera toujours les excuses qui lui permettront d’en faire le moins possible. Face à une tâche exigeante, il pourra se persuader lui-même que nous sommes productif, alors que nous sommes simplement actif.

On se persuade même que l’on fait les choses bien une fois pour toute, pour pouvoir avancer la prochaine fois. On cherche une meilleur manière d’organiser ses notes, on cherche le meilleur logiciel ou le meilleur matériel, on réponds à un mail ou on passe un coup de fil « pour être tranquille ensuite ». Même si ça nous prend tout notre temps de travail, on raisonne en se disant que tout sera prêt pour commencer demain. Le lendemain, on trouvera autre chose à faire.

Les anglophones ont une expression pour évoquer ce phénomène particulier. Ils parlent de yack shaving, littéralement : rasage de yack. À force de suivre inconsciemment le flot des actions impulsées par notre cerveau, on en arrive à faire des choses absurdes, comme raser un yack pour récupérer ses poils afin de fabriquer une brosse, simplement pour éviter de faire une tache difficile.

Le rasage de yack retient notre créativité

On peut penser que ces moments d’errance créent une spontanéité nécessaire au travail créatif.  Mais aucune grande œuvre n’arrive par hasard. Personne n’a commencé à tapoter sur son bureau en remplissant une feuille Excel et s’est tellement pris au jeu qu’il a continué à faire de la musique jusqu’à enregistrer un morceau. Personne n’a gribouillé dans la marge de son cours pendant suffisamment longtemps pour arriver à une BD publiée. Pour réaliser et se réaliser, il faut être à ce que l’on fait.

Mieux vaut être conscient de ce que l’on fait, de ses objectifs et de ses limites. Si on estime que ranger sa chambre ou faire la vaisselle est une activité qui mérite que l’on y consacre du temps, autant le faire pleinement plutôt que dans le but d’éviter autre chose. Si on se fixe un objectif, quelle que soit l’ambition de celui-ci. Il est important de le mener à bien ou de l’abandonner.Mais le laisser mourir ou le reporter n’est qu’une rustine qui peut marcher à court terme mais qui nous pèsera.

Comment ne pas raser un yack ?

Quand on se demande comment créer de manière efficace, la réponse est toujours: être conscient. Mais cela n’est pas vraiment d’une grande aide. Voilà quelques techniques qui peuvent être mises en place si, comme moi, vous êtes sujets au rasage de yack intempestif.

1.Un environnement de travail optimisé

Il est bon d’être dans un environnement sain pour accomplir les taches difficiles. Les outils doivent être prêt. Le travail à faire clairement défini. Les possibilité de distractions limitées. L’idée est d’arriver à se mettre rapidement dans un état optimal pour arriver à un état de flow dans lequel le résultat obtenu sera maximal en un temps minimal.

Evidemment préparer cet environnement peut prendre du temps. Si lorsque j’arrive sur mon lieu de travail, je passe 30 minutes à ranger pour que tout soit parfait, je suis peut être encore en train de raser un yack. Tout est affaire d’équilibre. Pour trouver la limite il faut être conscient et honnête avec soi-même. Il faut aussi accepter que les conditions ne seront  jamais parfaites et se lancer.

2.Savoir faire des pauses

Parfois c’est au beau milieu d’une séance de travail que tout dérape. On va rapidement faire une recherche sur internet pour trouver l’orthographe d’un mot et avant de comprendre comment on en est arrivé là, on se retrouve à regarder une vidéo expliquant les règle du boulingrin (oui ça m’est arrivé tout à l’heure).

Créer un environnement hors d’atteinte de toute distraction est possible. George R.R. Martin utilise une machine sous DOS, non connectée à internet et le logiciel Wordstar 4.0, pour écrire Game of Thrones.

[Spoiler alert]

Si vous écrivez des romans de fantasy, ça vaut le coup d’essayer. Cela reste néanmoins difficilement faisable en fonction de votre occupation. Une autre stratégie est d’accepter ces moment d’errance. Les identifier et se rendre compte que si cela arrive c’est peut être parce qu’on a besoin de faire une pause ou de se ménager des temps de repos.

Dans ce cas là, la meilleure stratégie est de faire une vraie pause. Levez vous et marchez si vous étiez assis. Évitez de sortir votre téléphone ou de regarder un autre écran si vous travailliez sur ordinateur. Si vous étiez dans le dialogue, restez un temps dans le silence. Vous serez ensuite à même de reprendre votre travail plus sereinement et plus efficacement.

Si vous le pouvez, anticipez ces périodes de mou et prévoyez des pauses régulières avant qu’elles n’arrivent. La technique du Pomodoro peut vous être intéressante. L’idée est de s’imposer des périodes de travail minutées, séparés par des périodes de poses également minutées. Cela peut être efficace même si je trouve que les temps de travail proposées par défaut dans la méthode sont trop cours pour permettre de vraiment s’immerger dans une tâche.

3.Gérez votre énergie

Notre capacité de concentration est limitée. Il est possible de l’améliorer à force de pratique, mais il est difficile de rester concentré sur une tâche créative ardue pendant toute une journée. On recommande souvent de commencer son travail par la tâche la plus difficile. Mais cela peut être adapté en fonction de vos rythmes personnels. Si êtes plus efficaces juste après le déjeuner, ou au cœur de la nuit lorsque les autres dorment, faites vos activités les plus importantes à ce moment là. Testez vous et respectez vous, il n’existe pas de recettes universelles.

Se fixer des plages de travail récurrentes et limitées dans le temps vous fait prendre l’habitude de vous mettre dans le bain tout de suite sans vous poser de question. Par exemple, je décide d’écrire tout les jeudi de 14h à 16h. C’est une obligation, je l’ai inscrit dans mon calendrier et je refuse tout autre engagement pendant cette période. A 13h55 le jeudi, je suis prêt. Le fait de savoir que je devrai m’arrêter 2h plus tard me pousse à rentrer le plus rapidement possible dans mon travail et à ne pas en ressortir.

Si vous avez déjà bien avancé, ou fini votre tâche la plus difficile dans la journée ou que vous avez prévu un temps pour le faire, laissez vous aller. Si vous sentez que vous glissez vers du rasage de yack, prenez-en conscience et profitez-en pour réaliser des activités moins exigeantes intellectuellement mais importantes aussi. C’est le bon moment pour faire toutes ces tâches secondaires que vous vous êtes empêché de faire plus tôt. Comme faire la vaisselle ou la préparation de votre environnement optimal.

Les clefs

  • Le rasage de yack est une manière pour notre cerveau de se passer de faire une activité difficile tout en se donnant l’air d’être très occupé.
  • C’est un ennemi de la créativité car cela nous détourne du travail concentré.
  • On peut limiter cet effet en adaptant notre environnement mais surtout en cultivant la pleine conscience.

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